vendredi 15 juin 2007

George Eastman, un destin hors du commun

Source : Bulletin de l'Association Belge de Photographie d'avril 1932.

Nous lisons dans le journal "La Métropole" d'Anvers : George Eastman, le magnat américain de l'industrie photographique se donne la mort à l'âge de 77 ans.

George Eastman était né à Waterville N.Y. en 1854. Il avait six ans lorsque son père alla s'établir à Rochester N.Y. et mourrait bientôt. Sa mère était infirme. Georges, à 14 ans, quitta l'école. Une société d'assurances, où il trouva emploi, le paya à raison de 3 dollars par semaine. Ses deux soeurs complétaient la famille. Hanté par le spectre de la pauvreté, le jeune Eastman épargna ses gains autant que possible et, la première année, au prix de multiples privations, parvint à économiser 37 dollars. La société d'assurances vit qu'elle avait en lui un travailleur, et bientôt les 3 dollars à la semaine devinrent 600 dollars par an, le maximum possible. Son directeur alors le recommanda pour un poste de comptable dans une caisse d'épargne, au traitement de 1.000 dollars par an.

Mais Eastman ne se contentait pas de son travail de bureau. Ses heures de loisir, il les utilisait à manier l'outil, à bricoler et avait fini par installer tout un petit atelier de menuiserie.

Puis il apprit à faire de la photographie. Il paya 5 dollars à un professionnel qui le mit au courant de la préparation de la plaque humide alors en usage. C'est alors qu'il essaya de remédier au manque de pratique du sytème. Malheureusement, ses expériences furent interrompues : on venait de le désigner pour un poste plus important à la banque. Dans l'intervalle, il apprit que l'Angleterre venait d'être dotée de la plaque au gélatine-bromure. Intéressé, sans attendre des renseignements complémentaires, il se met à l'oeuvre. Il expérimente. Les insuccès le talonnent au lieu de le décourager. Et le grand résultat qu'il obtint fut non pas la plaque parfaite qu'il cherchait mais la viabilité commerciale du procédé. Ce qui était impossible avec la plaque humide, était réalisable avec la plaque sèche : fabriquer en grand et vendre en détail.

Iconographie : Nadar photographie Eastman en 1890.

Et sa résolution fut prise, après quelques tergiversations (entretien de sa mère, horreur de la pauvreté, 1.400 dollars qu'il gagnait annuellement, gain sûr) il décida de se faire fabricant de plaques. Débuts modestes: une chambre à bas loyer, un employé pour le gros oeuvre et lui même pour la partie chimique. La chance fut pour beaucoup dans l'excellence de sa fomule, Eastman l'avouait avec candeur.
Le professeur d'Eastman devint son élève et son client. Il se mit en route avec son appareil et ses nouvelles plaques. Cependant, notre fabricant, qui s'était associé avec Henry Strong et qui avait abandonné son emploi, failli alors se ruiner. On fabriquait pour 4.000 dollars de plaques par mois mais elles ne se conservaient pas. Bien plus, les plaques étaient dépourvues de sensibilité, phénomène qu'on ne s'expliquait point.
Eastman disparut. Quelques mois plus tard, il réapparaissait. Il revenait d'Angleterre où il venait d'acquérir les droits d'exploitation d'une formule excellente. Mais la plaque n'était toujours pas ce qu'elle devait être : c'était la qualité de la gélatine qui gâtait tout.
Vint alors la substitution du celluloïd au verre et la création de l'appareil destiné recevoir le film. n était en 1884. Le Kodak fut lancé l'année d'après et la formule : "Pressez le buton, nous ferons le reste".
Ce fut ce film qui donna l'idée et permit à Edison de réaliser le "Kinétographe".
Alors, en 1888, fut fondée "l'Eastman Kodak Company"qui acquit tous les droits de George Eastman.
Nous ne dirons pas ici l'extension qu'a prise cette affaire, on la connaît : d'une chambre, elle est devenue une installation qui couvre une vingtaine d'hectares au bas mot.
Qu'il nous suffise de dire qu'Eastman laisse environ cent millions de dollars et que ses oeuvres de philanthropie se sont élevées à plus de 75 millions de dollars. Célibataire, il avait fait construire à Rochester un théâtre. Londres lui doit une clinique dentaire comme aussi Rome, Paris, Bruxelles et Sockholm.
Pendant la guerre, il souscrit pour plusieurs millions de dollars aux divers emprunts des alliés. Au demeurant, nombre de ses libéralités ont été faites sous le couvet de l'anonymat.
Rappelons, en ce qui concerne Bruxelles, que la ville avaità donner le terrain. Eastman, de son côté, donnait un million de dollars.
NDLR : trouvant l'article de "La Métropole" un peu "léger", j'ai cherché plusieurs éléments que je pensais intéressants pour le lecteur. Kodak ne veut rien dire mais lorsqu'Eastman lança sur le marché le premier appareil photographique de sa conception, il chercha un mot simple, "claquant", et prononçable dans n'importe quelle langue.

Quant à l'origine de l'expression, dont l'originale est "You press the button, we do the rest", elle provient de ce Kodak, appareil portable à la main, chargé d'un rouleau de négatif papier pour 100 vues. Celles-ci étant réalisées, il fallait confier l'appareil complet au commerçant et recevoir, outre les tirages, son appareil à nouveau pourvu d'un film prêt à être émulsionné.

Concernant le suicide d'Eastman, il est causé par une maladie de la colonne vertébrale qui l'aurait rendu handicapé à vie. Ne pouvant supporter cette idée, il devait se tirer une balle dans le coeur pour échapper à cette destinée. On trouva près de son corps le message suivant : "mon travail est accompli. Pourquoi attendre ?".